Depuis que nous avions un chien, il me revenait d’aller le promener. À la fois plaisir et corvée, par beau temps ou sous la pluie. Jour et nuit, mon chien était devenu un moyen de communier avec les saisons. J’emportais parfois quelques cigarettes, histoire de me récompenser de cette sortie forcée.
Lorsque le ciel est dégagé, la nuit, le ciel de Varmie n’est pas très différent des graphiques de Johannes Hevelius. Les constellations y sont plus visibles qu’ailleurs. À croire que l’on est plus près du ciel. Le chien qui n’est jamais allé à l’école tire sur sa laisse, renifle la présence d’autres bêtes. Lorsque nous arrivons dans la lande, je le laisse filer, non sans une certaine angoisse. Parce qu’un chien errant, trouvé dans une station-service, n’a que faire de mes appels. Bête sauvage sous les étoiles. Derrière la lande se dresse la forêt. S’il se mettait à poursuivre une biche, je ne sais combien de temps je devrais passer à sa recherche.
Le chien a disparu. Me voilà comme un imbécile à l’appeler dans le soir qui tombe. J’entends les aboiements des chiens d’une ferme voisine. Il doit être allé par là. Je m’enfonce dans les bois obscurs. Je l’appelle. Et le voilà, le chien Stat’ ; il revient, particulièrement fier de lui. Il aura pu courir, recouvrer un peu sa liberté de chien errant. Il se laisse mettre en laisse. Sale bête !
— Pourquoi es-tu parti comme ça ?
— Parce que tu crois que je vais t’expliquer où je vais ? Lorsqu’un gros chien comme moi poursuit une biche, pour ramener de la viande à la meute, il doit courir vite et loin sans se préoccuper de la destination, ni de la distance. Tu crois quoi, que je surveille la carte et la boussole quand je chasse.
— Dieu merci, cette biche, tu ne l’as pas attrapée !
Je me tus. Le chien avait sa raison d’être et d’exister au sein de notre famille qui ne correspondait pas forcément à celle que nous aurions voulue. Notre facteur semblait bizarrement au courant. Dès qu’il le voyait courir sans laisse, il s’arrêtait brutalement, nos lettres à la main, prêt à se replier dans sa voiture. Je m’excusais alors, enfermais ce chien encombrant dans la grande maison.
Le réveil
En pensant à son nouvel aménagement, Aga dénicha un réveil chinois, un réveil noir, brillant, mécanique, à l’ancienne, tel qu’on n’en trouvait plus depuis longtemps, et tout neuf par-dessus le marché ! Ma grande sœur avait reçu un réveil de ce type une fois pour ses étrennes. Je me souvenais encore du bruit dans sa chambre lorsque chaque soir elle le remontait. Un tel réveil présente l’inconvénient qu’il faut le remonter quotidiennement. Or, au vingt-et-unième siècle, qui a le temps de remonter un réveil ? Ça tombait bien. Le réveil conviendrait parfaitement à notre style de vie, et à cette demeure où il fallait tout faire. Je décidai donc de le remonter. Le tic tac commença sa douce chanson, une chanson que j’espérais aussi longue que possible. Peut-être le tic tac nous accompagnerait dans nos bonheurs que j’imaginais grands, dans nos malheurs que je souhaitais petits. Fier de cette nouvelle acquisition, j’en remontai la sonnerie, je la déclenchai, et la laissai résonner dans cette maison un peu vide jusqu’à ce que le ressort se fût complètement détendu.
Je revins un peu plus tard pour vérifier si l’heure avait reculé ou avancé. Le réveil s’était arrêté de manière inexplicable. Fabriqué en République Populaire de Chine, était-il trop neuf ? Ou trop mal conçu ?
Autrefois, lorsque ma grande sœur quitta la maison pour aller faire ses études, elle embarqua son réveil, un réveil assez semblable au mien, me privant d’un jouet que parfois, après m’être glissé dans sa chambre, je manipulais en cachette, réglais et déréglais autant que l’occasion me le permettait. Après son départ, elle ne laissa derrière elle qu’une chambre trop grande, triste et silencieuse.
Je reposai ce réveil chinois trop neuf sur le rebord de la fenêtre et n’insistai pas. Assez décoratif, il m’évoquait je ne savais pourquoi le réveil d’une mamie maltaise, derrière sa fenêtre, qui ferait sa couture, et jetterait parfois un coup d’œil dehors pour vérifier si quelqu’un passait. Nous saurions nous contenter de son silence. Il nous surveillerait l’éternité à la fenêtre.
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