Vert Naufrage 4 - Notre voisin (suite)

 Il est de bon ton de rendre une petite visite à mon voisin de temps à autre, ce que nous autres citadins, repliés sur nous-mêmes, avons bien du mal à comprendre. Alors c’est le voisin qui nous rend une petite visite. Comme il fait un peu frais, le voilà assis devant le poêle, placide, les mains posées sur les genoux. Ma femme lui fait la conversation. Pas bavard, le voisin.
Moi non plus.  Il se fait du souci pour nous. Pas d’eau ! (Lui aussi va chercher son eau au puits, comme les rares habitants des alentours.) Cet homme est effectivement un don du ciel. Bien que plus rudimentaire que le nôtre, son système de valeur est infaillible. Le monde est mal fait. Si aujourd’hui un homme possède la force, la volonté de travailler et rien d’autre, il lui sera presque impossible de trouver quoi que ce soit. Je sais : Impossible n’est pas français, mais le monde favorise ceux qui possèdent. Les capitaux affluent vers ceux qui en possèdent le plus. C'est le ruissellement vers le haut. Mon voisin n’est pas de ceux qui passent leur journée devant l’épicerie. Cependant, même ceux-là je les comprends. Ils boivent à leur désespoir, à leur marasme, à l’impossibilité d’agir. Dieu me garde de les juger.
Notre voisin, lui, ne boit pas. Il regarde notre poêle de marque allemande avec curiosité. Ce genre de poêle n’existe pas d’habitude à la campagne. Il avait pensé, en le voyant construire, que ça ne marcherait jamais, mais il faut bien constater que ça chauffe. Après avoir bu son café et exprimé ses reproches quant au gouvernement, le voisin se tait. Ce genre de silence dans les conversations ne nous gêne pas. Le silence qui nous entoure en permanence, c’est notre milieu, comment pourrait-il nous gêner ? Bien qu’il n’ait rien dit, sa voix semble encore résonner dans la pièce. Le feu ronronne doucement. Seul le chien semble inquiet et tend l’oreille. Soudain, notre voisin fait une longue tirade qui fait sursauter tout le monde et aboyer le chien.
« Tous des voleurs, les politiciens de droite, de gauche, il ny a aucune différence. Ça ne sert à rien d’aller voter! déclare-t-il, plein d’un ressentiment dramatique. Les Allemands, eux, ils savent travailler. Oh ! Oh ! Oh ! Ils savent ce que c’est le travail. Il leur en montrerait ! »
Je regrette un peu au fond de moi-même que les représentants du gouvernement allemand ne puissent entendre ce genre de discours. Cela les rassurerait peut-être sur les sentiments soi-disant anti allemands des Polonais. 
 
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