La peinture du plafond
Munie ce soir-là d’un pot de peinture neuve crème, Aga décida qu’elle repeindrait le plafond de notre cuisine. Elle me demande seulement de déplacer l’escabeau à droite ou à gauche au fur et à mesure de sa progression. Pendant que je m’occupais du plancher dans la chambre, je l’entendais qui chantonnait. Lorsque le travail fut terminé, on pouvait voir que c’était soigné, et comme c’était de la super peinture de luxe, elle ne dégageait pas de mauvaise odeur, en tout cas pas tellement. « Ça va sécher quand on dormira ! dit Aga. Mais j’ai eu du mal à la poser. Elle ne s’accroche pas bien. » Je ne compris pas ce qu’elle voulait dire, ça avait l’air si bien fait.
Le lendemain matin, lorsqu’elle m’entendit prononcer un gros mot dans la cuisine, Aga comprit immédiatement que quelque chose ne tournait pas rond avec la peinture. Elle se leva afin de constater les dégâts. La peinture crème pelait comme après un rude coup de soleil. Des lambeaux de toutes tailles pendaient çà et là. La peinture exceptionnellement luxueuse refusait de s’accrocher à notre rustique plafond. Découragée, Aga me confia la tâche de faire quelque chose avec « ça ». Elle ne voudrait plus s’en occuper. Alors je pris l’escabeau et commençai à frotter, à poncer, à gratter, à ôter une à une, en un nombre incalculable de couches superposées, toute l’histoire de la maison suspendue là, au-dessus de nos têtes. Sous la couche de super peinture exclusive, je trouvai celle laissée par le propriétaire précédent, Robert Jakubowski, musicien de son métier, joueur de violon, viole, et instruments anciens. Robert avait racheté ces bâtiments pour une bouchée de pain à une certaine Madame Piatkowski. L’aile nord était alors en ruine. À un moment donné, elle avait même servi à loger les chèvres. Le musicien avait effectué beaucoup de travaux de rénovation et avait, entre autres, repeint ce plafond d’un joli rose pastel. Sous la peinture rose de Robert Jakubowski se trouvait celle, marron noisette, de la famille Piatkowski. J’ignorais si les Piatkowski avaient jamais habité ici, mais je supposai que oui. On trouvait des traces de rénovation datant des années soixante-dix. Un vieux cahier coincé sous un plancher vermoulu vint témoigner que leur fille prenait des cours d’allemand au collège.
Toutes ces couches de peinture me tombaient peu à peu dans les cheveux. Je commençai à ressembler à la lune dans le film de Méliès, ou peut-être, avec la barbe qui poussait, à quelque résident du royaume d’Hadès.
À l’époque des Piatkowski, tous les terrains environnants leur appartenaient. C’était une ferme d’exploitation agricole assez imposante. L’une des granges avait été rasée. Piatkowski avait tout vendu sans rien investir. La ferme avait aussi servi d’entrepôt pour les machines agricoles de la coopérative locale qu’on appelle P.G.R.[1]
La peinture marron, grasse et épaisse des Piatkowski fut tout-à-fait facile à enlever. En dessous s’en trouvait une autre, dont la couleur fut cette fois-ci difficile à définir. Avait-elle été brunie par le temps ? Cette couche-là avait des odeurs de fumée et d’urine, de soupe et de vieillesse. Je dus prendre soin de ne pas gratter trop profondément car dessous se trouvait l’enduit de chaux et de sable, accroché à des tiges de roseau. Les tiges avaient été attachées aux planches du plafond à l’aide de fil de fer. C’était probablement la couche de peinture originale. (Peut-être aurais-je dû lui apporter les soins avec lesquels on rénove tout monument historique). Ce fut Monsieur Hintzman, ou peut-être son père, qui fit construire cette ferme au tournant du siècle. 1898 était la date inscrite sur l’une des tuiles faîtières. Rien ne permit d’affirmer qu’il s’agissait là d’une tuile originale. Mais un vieux meuble vermoulu qui servit d’armoire à linge portait encore la date de sa fabrication, 1917. Les Hintzman avaient eu l’eau courante qui descendait de la colline depuis un puits par un tuyau qu’on pourrait déterrer si on cherchait bien. De l’eau était chauffée au niveau du poêle et circulait dans le circuit du chauffage central. En dépit de l’absence d’électricité, les Hintzman jouissaient d’un certain confort. Cependant, pendant la guerre, M. Hintzman disparut mystérieusement. Et sa femme, restée seule avec sa fille, ne put venir à bout ni du travail de la ferme, ni de la boue qui s’accumulait dans la cour. Comme elle parlait allemand, et non polonais, elle vendit tout et émigra vers les nouvelles frontières de l’Allemagne. La Varmie qui faisait partie de l’Allemagne avant la guerre devint territoire polonais. La Pologne sous le pouvoir communiste encouragea voire obligea ceux qu’on estimait être des Allemands à émigrer vers l’Allemagne.
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