Une idée saugrenue venait de me traverser l’esprit : Nous nous débarrasserions de notre appartement varsovien pour aller vivre à la campagne. L’immobilier était gonflé à bloc, la conjoncture favorable. Alors nous vendîmes sur un coup de tête !
Certains aventuriers partent pour le pôle Nord, d’autres traversent l’Afrique en long et en large, en préparant soigneusement leur voyage. Aga et moi, on se prenait pour Goodall ou Thoreau. On fit donc l’acquisition de cette masure de briques rouges, perdue en Pologne dans un océan de prés, de forêts et de lacs. Nous pensions naïvement la restaurer. Décision folle et insensée.
L’un des problèmes lorsque vous vivez au paradis, c’est que vous ne voyez pas le temps passer. Les années s’écoulent à une vitesse folle. Et le soir venu, vous voilà orphelins. Ceux que vous avez quittés hier ont disparu, et même les lieux familiers de votre enfance et de votre prime jeunesse n’existeront plus que dans de brèves réminiscences, aussi fragiles que le rêve de la veille.
Chapitre 1
Au bord de la route
Voilà comment commence
mon histoire : Dieu habitait une maison à la campagne, au bord de la
route, faisant l’honneur de sa présence discrète à notre petite famille. Je ne
sais pas ce qui était passé par la tête du Créateur de toute chose. Pourquoi
venir s’installer dans cette maison de brique rouge ? Avait-il oublié qui il
était ? Je m’empresse d’ajouter que si je parle du bon Dieu, ce n’est pas parce
que je serais croyant ou non (cette question ne regarde personne), mais parce
qu’une croix immense dotée d’un Jésus minuscule surveillait l’entrée du terrain,
une croix perdue aujourd’hui au milieu des broussailles et qui aurait fort
besoin d’un petit coup de vernis.
Dieu créa le monde en
sept petits jours, et treize milliards d’années et demie plus tard, il décide d’aller
vivre à la campagne en compagnie de parfaits inconnus. Absurde !
Avait-il oublié la fuite d’Egypte, avait-il oublié comment, en écartant la mer Rouge,
il avait aidé le peuple élu à rejoindre la terre promise ? Nous y sommes !
La terre promise ? Justement, la voilà ! Nous qui errons
sans fin, sans voir qu’elle était là, sous nos pieds, depuis toujours, depuis l’éternité.
La Varmie est un
paysage vaste, parsemé de toits de tuiles rouges, de jardins, de chapelles, de
croix avec des Jésus minuscules généralement fixés dessus à l’aide de clous, de
forêts, et surtout de routes qui ne mènent absolument nulle part. Le fait qu’il
y ait des panneaux d’indication ne change rien à l’affaire, les villages qui y
sont indiqués sont tout aussi perdus que l’automobiliste qui viendrait se
risquer parmi ces collines.
Ce jour-là, nous nous laissâmes faire, pour le meilleur et pour le pire. Nous nous mîmes d’accord avec le propriétaire des lieux sur le prix, presque rassuré par la présence du vieux calvaire en bois dissimulé par le feuillage permanent de deux gigantesques cyprès et qui surveillait la route. Aujourd’hui, je sais que cette pauvre figure n’a jamais rien surveillé. Sinon, pourquoi notre chien se serait-il fait écraser ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire