Vert Naufrage 3 - Notre voisin

 Lorsque notre voisin nous proposa son aide, la maman dAga nous dit simplement et avec raison, que cet homme nous était tombé du ciel. Comment ne pas être d’accord ? Cet homme nous botta les fesses, nous poussa, nous défia, nous donna l’exemple, car la plus grande vertu à ses yeux, c'était le travail. Quand il parlait du travail, il était bien clair qu’il ne s’agissait pas d’un travail intellectuel. Étant donné la manière dont il considérait les candidats au parlement européen, le travail pour lui ne signifiait rien d’autre que l’effort physique ! Toute autre forme de travail était le signe d’un esprit combinateur et égoïste. « Tous des voleurs ! » En ce qui concernait les candidats au parlement européen, je ne souhaitais pas vraiment en débattre avec lui.
Les traits creusés, le visage rude et brûlé par le soleil, le voisin savait se montrer dur à la tâche, obstiné, mais aussi sans vouloir trop idéaliser (je ne connais pas quels rapports entretiennent mes voisins entre eux), solidaires. S’il n’avait pas été près de nous à démonter et remonter les murs, à faire les enduits, les tranchées, les dalles de béton de chaux, combien de fois aurais-je baissé les bras ?
Cependant, à un moment donné, notre voisin avait fini par faire, comment dire, partie des meubles. Toujours là, matin et soir, travailleur précieux mais un peu envahissant pour des citadins comme nous, surtout lorsqu’il voulait décider où, quoi et comment.
        Vos pruniers, là, si vous voulez je vous rase tout ! Ça ne vaut rien ! Scheiße! ajoutait-il en allemand pour être bien sûr que je comprends.
 
 Cet après-midi-là, mon voisin et moi avancions au milieu des blés qu’un doux zéphyr agitait comme des vagues. J’ignorais où nous allions. C’est le voisin qui menait la barque. Il ne craignait guère d’écraser les épis déjà mûrs à son passage et laissait comme une étrave derrière lui malgré sa maigreur.
 
J’ai eu parfois l’occasion de constater avec quelle vigueur le voisin pouvait travailler.
Nous avions besoin d’une poutre pour défaire une cloison afin de soutenir le plafond. Généralement, ce qu’on fait, c’est qu’on achète une poutre en acier, on creuse une ouverture dans le mur porteur que l’on veut défaire, juste à la taille de cette poutre puis après l’avoir installé dans le mur, on défait les briques qui sont en dessous. Et le tour est joué. Pourquoi acheter et dépenser encore des sous lorsqu’il y a tout ce qu’il faut dans le champ d’à côté.
 La masse sur l’épaule, on traversa le champ de blé. Devant nous apparut un poteau électrique plié en deux lors d’une collision avec un engin agricole et qui gisait dans la broussaille.  Il fallait tout simplement défaire le béton de son armature d’acier.
J’essayais avec peine de donner des coups. Sans grand succès, la masse rebondissait. Je suis meilleur avec un stylo. Sans doute agacé par ma mollesse, le voisin se saisit de la masse, et après quelques grands coups bien placés, le béton s’effrita comme par magie. Ce n’était pas seulement une question de vigueur. Le truc, c’est que cet homme n’avait pas peur de s’arracher les bras. Lui-même était d’ailleurs à peine plus gros que l’armature d’acier que nous trimballions en silence au beau milieu des blés, et trahissait parfois quelques faiblesses liées à son âge.  Sans la force de la volonté, comment survivre dans cet océan ?


<Vert Naufrage 2                                                Vert Naufrage 4>

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