Beniek la fripouille
Nous n’habitons qu’à quelques petits mètres de la route. Durant toutes ces années, à cause de cette proximité gênante, nous avons bien perdu une dizaine de chats, la plupart renversés par des camions qui ne prenaient la peine ni de freiner ni de ralentir. J’en ai eu marre d’aller enterrer mes amis dans le jardin ! À cette heure, nous avons toujours un chat, Beniek, le dernier venu. Beniek est apparu à la fenêtre, par une froide après-midi d’hiver. Un chat brun et blanc, avec une tache sur toute la longueur du nez qui lui donne un air de fripouille. La patte cassée, il était affamé, misérable et miaulait de tout son désespoir de chat. Alors nous avons ouvert la fenêtre et l’avons soigné.
À ce moment-là, nous avions encore le chat Karol avec nous. J’avais cru que Karol était assez malin pour ne pas se faire écraser. J’avais eu tort. Peu de temps avant Pâques, je l’ai trouvé agonisant sur la route. Son dernier quart d’heure fut si douloureux qu’il m’arrive encore d’en pleurer. Je l’ai pris dans les bras, mais cela lui faisait mal. Je suis rentré à la maison, je l’ai installé sur le canapé. Un quart d’heure et c’était fini. Beniek, lui, est venu se poster à côté de Karol, peut-être inquiet de le voir dans cet état ? Longtemps après que Karol eut donné son dernier souffle, Beniek était toujours là, les yeux fermés, pour veiller son ami mort.
Nous avons donc acheté une laisse, avec un harnais assez léger pour que cela ne le gêne pas. Comme il fait beau, Beniek et moi allons nous promener dans le jardin. Nous sommes l’un comme l’autre attachés à la laisse, et je ne sais pas vraiment qui promène qui. Beniek va renifler des herbes, ou des crottes, et se roule dedans. Beniek poursuit une libellule. Beniek tente d’attraper un lézard. De temps en temps, j’essaye de sauver les bestioles. Hier, j’ai sauvé une grenouille, mais de quel droit ? N’était-ce pas la sienne après tout ?
Cet après-midi, Beniek a décidé d’aller plus loin, et nous voilà à traverser les hautes herbes du petit bois, à prendre le chemin qui descend vers le val. Nous allons jusqu’au val sur le mode petit chaperon rouge en reniflant çà et là quelques graminées et en nous attaquant à quelques insectes. Beniek détale comme une fusée. Je suis surpris et je ne suis pas prêt à courir. La laisse lui rappelle brutalement qu’il est attaché. Si je peux, je cours avec lui. Puis nous nous arrêtons, aussi essoufflé l’un que l’autre. Sur la route, de l’autre côté du paysage, des voitures foncent, des camions écrasent d’autres bêtes innocentes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire