Vert Naufrage 2 - Le chien

 


 

Et je ne voulais pas d’un chien. Pas moi ! Je n’aime pas les chiens.  Ils aboient, mordent et font du bruit. Ce n’est pas dans mon tempérament de mordre et de faire du bruit.

            Ça s’est passé exactement le jour où nous avions décidé d’acheter la maison. Le papa d’Aga avait tenu à nous accompagner. Nous étions donc partis jusqu’à Olsztyn dans la Lanos rouge. Avions conclu l’affaire avec le propriétaire. Sur le chemin du retour, dans les premières nuits d’automne, une station-service. Nous avions faim. Le chien qui traînait là-bas aussi. Alors je suis sorti de la cafétéria de la station pour partager mes pierogi au fromage, ces gros raviolis polonais traditionnels. Le chien a tout mangé. Maigre, avec des puces, il faisait triste à voir.  Aga l’avait pris en pitié.  Et quand Aga prend un animal en pitié, il y a plein d’amour et de compassion dans ses yeux. Ce qu’Aga ignore, c’est qu’avec ce regard, elle est absolument irrésistible. Elle pourrait alors me demander de sauter dans l’eau pour sauver un poisson de la noyade, je le ferais. Elle me regarda donc ainsi. Ses yeux semblaient demander : « Alors ? Qu’est-ce qu’on fait ? » Et moi, donc, comme un automate, je lui dis : « Alors ? Qu’est-ce qu’on fait ? »

            Ma femme, qui savait pertinemment que dans ma famille on déteste les chiens de père en fils n’en crut pas ses oreilles. Ce fut donc bien moi qui pris la décision d’embarquer le chien, impossible de le nier. Je venais de réaliser en une seule courte journée, les deux plus grosses bêtises de ma vie. J’étais devenu l’heureux propriétaire d’une maison en fort mauvais état et le nouveau maître de ce chien galeux.

 On embarqua le chien dans la voiture. Comme tout chien qui a été abandonné, et se laisse adopter par un nouveau propriétaire, celui-là était sale, plein de puces, et surtout très discret. En l’honneur du lieu où il fut trouvé (une station-service Statoil), mon beau-père qui nous accompagnait proposa de le baptiser „Stat’”.

 

Le chien et mon fils s’entendirent bientôt comme cul et chemise. Mon fils voulait lui tirer les pattes et les oreilles, et mon chien voulait protéger mon fils de tout ce qui mord et aboie.

 

Un peu plus tard nous voulûmes faire découvrir la nouvelle maison à notre fils. Un chien abandonné s’adopte facilement, en revanche une maison abandonnée depuis des années peut se montrer bien plus froide et plus ingrate que tous les orphelins de la terre. Je tombai sur l’idée de truffer la maison de babioles. Cela aiderait peut-être la maison à créer une relation positive avec mon fils, une maison aux allures trop grandes, trop grises (le sol était parfois de béton nu) et trop froides. De vieux meubles dont nous jetterions certains. Des coins humides. Des souris pour faire l’animation. Ma femme dégotta des animaux en plastique made in China. Un gros sac dont nous répandîmes le contenu à droite et à gauche comme le bon grain avant que le petit ne fasse son entrée dans la grande demeure grise. Des vaches, des cochons, un âne, une chèvre bancale bien que neuve. Mon fils se prit bien au jeu, mais lorsqu’il les eut tous trouvés, il les abandonna sur le tas de sable, dégotta une vieille voiture à roulettes, elle aussi en plastique chinois de mauvaise qualité, et se mit à parcourir en long, en large et en travers le sol inégal de la vieille maison.

    Regarde-moi, maman !

    Tu ne vas pas descendre les escaliers avec ça ?

Ma femme s’affola, fit une moue de mécontentement. Dans un crissement effroyable, la petite voiture à roulette en plastique chinois dévala la pente de l’escalier devant la porte d’entrée. Les Chinois sont assez doués pour fabriquer de petites voitures à roulettes en plastique tout-terrain. Après avoir loué les vertus du capitalisme chinois, nous entreprîmes de nous mettre au travail.

La première chose que j’achetai pour la rénovation fut un tas de cailloux de vingt-quatre tonnes de beaux galets, plus ou moins gros, plus ou moins ronds, des roses des gris, des bruns. Le camion benne les déposa dans le chemin à grand fracas et grincement d’acier. Lorsque le calme fut revenu, je me hissai sur le tas, levai les bras au ciel et déclarai : « Me voilà l’heureux propriétaire de vingt-quatre tonnes de cailloux. » Je ne sais pas comment vous expliquer mon bonheur. Comment peut-on jouir du fait de posséder vingt-quatre tonnes de cailloux ? Si vous n’avez jamais acheté de cailloux, de beaux cailloux roses ronds ou gris, et en une telle quantité, comment pourriez-vous comprendre ?

Durant l’automne 2008, nous passâmes beaucoup de temps sur notre tas de cailloux, en espérant naïvement que les rares passants ne nous prennent pas pour des fous. Il fallait les débarrasser de la glaise collante qui s’y accrochait. Moi, je les mettais dans un panier à salade, je secouais bien fort et déversais dans la brouette. Ensuite j’emmenais la brouette dans la maison et déversais mon butin sur le sol, revenais remontais sur ma montagne de galets, recommençais.

— Drôle d’histoire ! Pourquoi mettre des cailloux dans votre maison ? C’est du Land Art ? s’interrogent mes lecteurs. Mais non, c’est seulement une technique traditionnelle bretonne.

Les bretons déposaient un lit de pierres sous une chape de chaux pour drainer l’humidité vers le bas. Ils appellent ça un hérisson. D’ailleurs ça fonctionnait très bien, il n’y eut plus jamais d’humidité dans la maison. D’après les radiesthésistes, cela permet aussi d’annuler les mauvaises influences électromagnétiques venues des veines d’eau souterraines. On trouve souvent des lits de pierres sous les sols des églises, également en Pologne, qui contribuent au bien-être des fidèles.

Suis-je fou ?

Sur le haut de mon tas de vingt-quatre tonnes de cailloux, je nettoie les pierres, l’une après l’autre, vingt-quatre tonnes ! Le temps passe, le printemps arrive, et le mélèze qui nous tient compagnie commence à faire de jolis fleurs roses qui deviendront des pommes de pin.


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