Vert Naufrage 15 - Le makarov - Le poêlier

 

Le makarov

 

Non contente de nous offrir ses fleurs, ses légumes et ses abeilles, la nature eut également l’idée saugrenue de nous offrir des tiques. Ces vilains insectes abondaient jusqu’aux abords de la maison. Il suffisait aux chats de descendre les quatre marches de l’entrée pour revenir avec l’un de leurs représentants juché sur le museau. Les vilains insectes appréciant les broussailles, nous décidâmes de supprimer les lilas qui abondaient au sud de la maison et qui assombrissaient la cuisine (ils ont abondamment repoussé depuis).

Je me mis donc au travail, sciant et coupant tout, d’abord l’immense lilas dont les plus hautes branches faisaient concurrence à la toiture. Pour ne pas attraper des tics, j’avais mis une veste imperméable avec la capuche. J’étais donc dans le buisson, suant et pestant à enlever l’un après l’autre chaque rejet de l’arbuste. Lorsque j’aperçus un morceau de métal rouillé. En l’attrapant, je reconnus ce qui semblait être un revolver rouillé. Je le saisis avec précaution. Était-il chargé ? C’était une arme de poing russe, un makarov. D’où pouvait-il sortir ? Qui l’avait jeté là ?

Nous fûmes d’abord partagés. Il convenait de signaler ce genre de découverte à la police. Mais la police avait bien mieux à faire qu’à opérer des fouilles archéologiques dans la région. Mû par je ne sais quelle intuition, le voisin vint justement à nous rendre visite. Il examina l’arme avec beaucoup d’intérêt. En bricoleur invétéré, il la démonta en deux temps trois mouvements. « Qu’est- ce que c’est comme arme ? » demandai-je. J’étais curieux de voir s’il reconnaîtrait un makarov. « C’est juste une pétoire ! » répondit-il en haussant des épaules et en se fiant d’avantage à son aspect rouillé. Il manque seulement une cartouche, constata-il. Après s’être léché l’index, il humidifia l’une des pièces et remonta aussitôt l’arme, visa un corbeau qui passait.

Le coup de partit pas. L’arme fit seulement entendre un déclic mou.

– Il n’y a pas eu de règlement de compte entre bandits, autrefois ? risquai-je à tout hasard.

– Ha ! Ce Piatkowski, drôle de type, fit-il. J’attendis qu’il en dise davantage. Seul le vent soufflait dans les mélèzes.

– Ah bon ?

– Oui, le trafic.

–Ah, il trafiquait !

–De tout, des tracteurs, de l’essence, des cigarettes … fit-il en crachant sur le côté. Mon voisin crachait parfois quand il était seul, ou en l’absence des femmes.

–Vous n’avez pas entendu des coups de feu à l’époque ?

–Peut-être !

Le voisin n’en dirait pas plus. Le même corbeau repassa devant nous. Le voisin tenta encore sa chance, visa. Il y eut une détonation et le corbeau tomba comme une pierre. Je n’aime pas qu’on traite les animaux de cette façon.

– Mettez-le à l’abri, dit-il après avoir ôté le chargeur et remis la sécurité.

Les pièces du revolver furent rangées séparément en différents lieux après que je l’eus démonté en me pinçant les doigts. Je ne tenais pas à ce que d’autres bêtes fassent les frais de l’imagination malade des hommes. Les balles furent jetées plus tard dans la mare. J’espérais qu’ainsi elles rouillent et soient définitivement hors-service. Lorsque nous fûmes repartis le voisin et moi, le corbeau prit discrètement son envol et s’éloigna.

 

 

 

 

Le poêlier


Se dépêcher. Il fallait se dépêcher. L’hiver approchait à pas de loup. Il allait bientôt frapper à la porte comme un huissier, réclamer son tribut de feu et de bois. Dans ce pays, l’hiver se prépare longtemps à l’avance.

Ici, à la campagne, le poêle en faïence est souvent l’unique moyen de chauffage. Il s’en trouve toujours un ou deux, massifs comme des armoires, trônant comme des trésors dans la plupart des fermes. Le nôtre ne fonctionnant pas très bien, nous l’avions fait rénover. Le constructeur de poêles, qu’on appelle le zdun (poêlier), s’était donc installé chez nous pendant trois jours. Un pépé maigre comme un clou, lunettes fumées et chapeau de paille mais avec des mains comme des massues. Il fumait des cigarettes infectes. S’il avait pu, il aurait volontiers bu à notre santé, mais nous n’avions rien à lui offrir. Le temps ne passait pas vite car il y avait un sacré bazar à la maison. Pas d’eau courante. La saleté du poêle défait puis refait, construit de briques thermiques, de tuiles de faïence, de terre glaise et de fils de fer. Rien d’autre. La construction, fragile et humide, montait très lentement. Ça rappelait plutôt un château de cartes. Alors le poêlier avait tout le temps de me raconter ses histoires, des récits pleins de bagarres, de disputes autour d’une bouteille, de plaisanteries douteuses entrecoupées de gros mots. Mais sans pouvoir me l’expliquer, je prenais plaisir à l’écouter. Son vocabulaire était si nouveau pour moi que je ne comprenais pas la moitié de ses propos. Il voyait que je ne comprenais pas, continuait pourtant à me conter ses quatre cents coups dont il sortait toujours vainqueur.

Aga n’apprécia guère ce poêlier qui partagea avec nous pendant toute une semaine notre espace vital. Il était petit, râblé et poilu comme un adjudant. Assez peu maniéré. Lorsque je lui dis que nous venions de Varsovie, cela lui évoqua aussitôt de la bande de voyous mâtée par ses soins. Ceux-ci détroussaient les ouvriers qui venaient se procurer à l’épicerie de quoi se rafraîchir le gosier après les heures de chantier. Tout le monde craignait de passer devant cet établissement pourtant très fréquenté. Notre poêlier en frappa un si fort qu’il lui cassa le nez. Avec ses lunettes et son air de papi à la retraite, je me dis qu’il ne payait pas de mine, mais qui sait...

Catastrophe, il risquait de manquer des carreaux de faïence. Le poêle était même un peu de travers et le poêlier se mit en toute hâte à recompter les carreaux. Heureusement, nous avions décidé de le déplacer, de l’insérer dans l’ouverture d’une ancienne porte et on pourrait mettre seulement des briques réfractaires là où on ne verrait rien. Après avoir tout recompté, il s’avéra que nous avions le nombre juste. Pas un de plus. Tout le monde respira. Cette maison ? Un puzzle dont les pièces étaient des bouts de rien.

Le lendemain, le poêlier avait fini son travail. Alors je le ramenai chez lui, puis nous brûlâmes une ou deux bûches. Nous laissâmes la petite porte de fonte entrouverte pour que le poêle se débarrasse de toute cette eau utilisée pour sa construction. Il chauffa doucement de cette chaleur rayonnante, tellement douce qu’on ne peut s’empêcher de coller le dos à cette paroi de faïence. Cette nuit-là, il allait geler.

 

Nuit de septembre, le cœur affolé, à ne pas pouvoir fermer l’œil. Ma femme et mon enfant dorment d’un souffle paisible. Je passe toute cette nuit-là à songer à mes proches, à mes parents pas vus depuis des années. Ma maman, je voudrais la serrer dans mes bras, lui rendre au centuple l’amour qu’elle m’a donné. Je voudrais crier cet amour comme un soleil trop brûlant.

La forêt où je suis, toute noire, sans fond. Sur ma joue, j’ai voulu essuyer une larme. Elle était sèche. Comme un vieux tronc d’arbre. « Alors ne perd pas de temps, dis-le-lui, dis-le-leur. Dis-leur que tu les aimes, bougre d’idiot ! »

 

<Vert Naufrage 14                                            Vert Naufrage 16>

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