Cette histoire n’est pas une fiction de plus. C’est une histoire vécue qui a débuté il y a nombre d’années. Mon écriture est une quête. Il s’agit de ma quête, il s'agit d'une tentative de débusquer le paradis sous vos propres pieds. C’est un soir d’orage. Pourtant, Aga décide de « s’asseoir », c’est-à-dire de commencer une séance de méditation qui dure de trente à cinquante minutes. Comme presque toujours, lorsque l’un propose de s’asseoir, l’autre accepte. C’est notre façon de nous encourager mutuellement dans cette pratique. Une pratique quelque peu dénuée de religiosité. Il y a bien des figures de Bouddha çà et là, une ici sur la commode, une autre au-dessus de mon bureau, une autre dans la chambre. Nous n’y mettons pas de fleurs. Je m’incline parfois devant elle, je m’incline parfois, comme on s’inclinerait devant la partie sacrée de soi-même et du monde.
Mais je ne peux pas rester assis. Les radars de la météo montrent bien l’approche d’un gros orage. Il se dirige droit sur nous, avec des couleurs rouges et des éclairs intenses, concentrés sur un front qui se dirige vers le nord-est. Les grondements du tonnerre se firent plus distincts. Je me levai du zafu et surveillai les éclairs. Comme les épicéas qui entourent la maison sont hauts, je craignais que la foudre n’atteigne l’un d’entre eux, d’autant qu’on l’entendait tomber pas très loin. Mais l’orage passa.
En m’asseyant à nouveau, une pensée me vint.
Pour moi, méditer signifie contempler. Contempler les réactions de mon cerveau, de mon corps. Sur le même plan que les phénomènes extérieurs. Ni extérieur ni intérieur.
Assis sur le zafu, je contemple aussi mon regard, ce qu’il contient de postures, de sentiments, de projections. L’espace entre mes yeux et le tapis en est comme rempli. J’observe cet espace vide où se défont tous les films, toutes les bobines de l’existence, mes frustrations, mon agressivité, ma méchanceté, mes peurs, mes conditionnements. Tout cela se défait doucement sous mes yeux, enveloppé d’une sorte d’amour, de tolérance, de compassion (le mot compassion est un peu limitant), bref d’une sorte de lumière, toute mêlée à des restes d’orage, aux chants des oiseaux qui reprennent dans le jardin parce que la fenêtre est ouverte.
Donc, une idée me vint, celle que la jouissance n’avait pas assez de place dans ma pratique justement. La jouissance tant décriée. La libido, c’est-à-dire ce plaisir de vivre qui anime la psyché comme une sorte de moteur. Si ce plaisir de vivre disparaît, il se transforme en désir de mourir. Or, la libido est indestructible, elle est une énergie fondamentale qui inspire toute la vie sur la Terre. Niez-la et elle vous dessèche et vous détruit. Et voilà que dans tous nos films mentaux, dans tous nos conditionnements civilisationnels, nous en avons détourné la fonction primitive. Nous l’avons transformée en un désir terriblement décalé par rapport au réel. Nous désirons ce que nous n’avons pas, ce qui nous empêche de jouir pleinement de la seule chose que nous possédions vraiment, l’éternité. Nous nous faisons des films au lieu de développer le talent spontané de la jouissance. Nous l’altérons avec des peurs, des frustrations, des jalousies, des désirs (décalés) ce qui nous mène droit à la guerre contre nous-mêmes et contre les autres.
J’avais consacré un peu de ma vie à la méditation, à cette quête du paradis, avec l’idée de débusquer le paradis sous mes pieds. J’en avais même négligé ma sécurité. J’avais plongé dans cette grande rivière sans soucis du lendemain.
Et puis, par un jour d’orage, je m’aperçus que ma quête avait été sèche. À avancer sans fruit, j’avais desséché de l’intérieur. Il me manquait une certaine forme de jouissance. Une sorte de Carpe Diem. Toujours en décalage, conditionné par ma propre culture.
Alors je décidai d’accueillir le désir et la jouissance dans mon regard. Comme un moteur essentiel à l’existence, à la mienne comme à celle de chacun. Ainsi que le désir, puisque le désir existe. Faisons-lui bon accueil. Offrons-lui gîte et couvert.
Je n’aime plus tellement boire du vin, pourtant, lorsqu’il m’arrive d’en imaginer le goût, j’ai presque plus de plaisir qu’à en boire. Pareil avec les cigarettes (j’en fume une ou deux par an).
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