Pour manger quelque chose
de chaud (pas de cuisinière) il fallait allumer un feu. Avec un grand
couvercle, faire du vent. Ce midi-là, comme la plupart des premiers jours, j’installai
donc le barbecue par terre, le stabilisai avec deux briques, y ajoutai du
charbon de bois, des herbes sèches et des branchages. Les braises prises, j’ajoutai
les pommes de terre, très jolies dans leur papier aluminium. Le ciel s’obscurcit
peu à peu. Les patates crissaient doucement. Le vent souffla de plus en plus
fort. Les branches s’agitèrent. Au pied du grand chêne, les patates seraient-elles
cuites avant l’orage ? Un peu plus tard, de grosses gouttes se mirent à
tomber. L’orage gronda. Les pommes de terre au beurre, volées au mauvais temps,
délicieuses.
L’électricien était passé avec toute son équipe.
Un véritable régiment. Il installèrent la nouvelle armoire électrique. À
présent, nous utiliserions un four et une plaque à induction. Ma femme déclara
que notre qualité de vie avait augmenté de trente-et-un pour cent (je ne suis
pas sûr d’où Aga tenait ce chiffre). Pourtant, les pommes de terre n’auraient
plus jamais le même goût.
Notre insouciance semblait n’avoir plus de limite. Avions-nous perdu la
tête ?
Chaque matin, le chat Maniouch lui-même venait s’installer
sur la fenêtre de la salle de bain. Il restait assis là des heures, se léchant,
se chauffant longuement au soleil. Quand je le caressai, il était devenu brûlant,
comme une casserole sur le feu.
Nous nous installâmes, prîmes nos aises dans ce
paysage de western. Je rencontrai même la voisine du sud-est.
La voisine habitait seulement à deux kilomètres.
Plus d’une soixantaine d’années (un rire clair au beau milieu, seulement
quelques dents que la vie avait bien voulu lui laisser). Dans l’étable le soir,
je vins la voir dans l’idée de lui commander du bois. Là-dedans des dizaines de
bêtes odorantes et chaudes, vaches brebis, moutons chèvres chats chiens,
poules. La belle arche de Noé s’était mise à l’abri des orages d’août. Je dus
attendre que la grand-mère ait fini sa traite pour commencer le négoce. Traire une
vache demande du calme, de la concentration. Je restai là. J’hésitai.
Cette voisine avait à charge une
dizaine de gosses, ses petits-enfants, tout un petit monde qui couraient nu et
sale dans la ferme. Ils n’avaient rien, mais on voyait bien que la marmaille
respirait le bonheur. Les uns me regardaient avec malice, les autres après
avoir constaté que l’étranger planté là au milieu de l’étable ne constituait
pas une curiosité spectaculaire s’en allaient courir et se lançaient des
cailloux. Lorsque je lui dis que j’avais un fils, elle se moqua de
moi. « Il va s’ennuyer tout seul, m’expliqua-t-elle. Regardez,
fit-elle en désignant le couple de cigognes sur le toit, si vous voulez des
enfants, il suffit de demander à ces oiseaux-là : ils sont très forts. Ils
ont ce pouvoir. »
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