Vert Naufrage 23 - Le miroir


 

Un miroir était suspendu à la branche d’un bouleau. Un vieux miroir à la surface argentée et tachetée de vieillesse. Le vent léger l’agitait comme s’il venait de servir à un propriétaire précédent qui l’aurait eu en main pour s’y raser ou s’y rafraîchir. Était-ce la lumière des lieux ? Il ne renvoyait évidemment pas la même image que celui de la salle de bain. Celle-ci était dorée, brillante, et on ne parvenait pas à s’y reconnaître tout-à-fait. Le fil auquel il était attaché, emmêlé aux branches, allait se fourrer là-haut dans les frondaisons du bouleau, comme un chat capricieux, décourageant toute tentative de l’en défaire. Cette glace était très bien où elle était, et pour sûr, aux beaux jours, je viendrai y faire ma toilette.

 

Selon un certain sage de l’antiquité, renoncer embrasse le vide et apprivoise la totalité. Feng regarda au travers de moi. Il semblait y observer de hauts pics enneigés. C’est particulièrement agréable d’être regardé ainsi. Désormais je m’efforcerai de procéder ainsi lorsque j’écouterai mon prochain. Il se sentira important, pris en considération, rassuré et comblé d’être ainsi écouté.

 

« Si vous me comprenez, vous êtes ces montagnes », fit-il. 

Je n’avais rien à répondre, je me contentais de garder les yeux mi-clos.

 

« Cela dit, si vous le souhaitez, vous pouvez toujours agrandir le jardin de ce côté-ci. »

Il désigna une lieue vers l’est, une étendue au-dessus du val, énigmatique, comme à son habitude.

« Dites-moi Feng, qu’est-ce que c’est que ces bruits la nuit ?

— Quels bruits entendez-vous ?

— J’entends qu’on frappe à la porte, mais cela ne semble pas venir du dehors.

Le vieux Feng ne sembla pas surpris.

— Peut-être êtes-vous rêvé par cette personne qui frappe à la porte ! Notre réalité n’est pas si tangible que ça ! » lança-t-il en disparaissant soudainement comme pour me démontrer le bien-fondé de cet argument.
 
 
 
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