Rentré en Pologne, retrouver mon jardin en plein été fut pour moi un bonheur rare, comme si aucun autre lieu, aucun autre paysage ne put éveiller en moi un tel sentiment. J’étais assis là, devant une véritable prairie en fleurs, sur notre fauteuil design, repeint en vert l’année précédente, comme pour l’occasion. Les herbes déjà folles avaient pris encore de l’ampleur et la « pelouse » commençait à devenir sincèrement impraticable. Mais peu m’importait. Reines des près, rudbeckias, achillées et origans flottaient au vent comme d’innombrables cerfs-volants dans la lumière dorée du couchant. Les sauvages mélisses s’étaient mêlées aux soucis domestiqués par ma femme, savante ouvrière du jardin. Une fois installé, combien je fus surpris de voir cette énorme masse de parfums de couleurs trembler sous mes yeux, comme un mirage, comme une personne heureuse des retrouvailles. De tous ceux qui accueillirent mon retour, ce fut le jardin le plus éloquent, et je soupçonne chacun d’avoir mis la main à la pâte de cette étourdissante bienvenue.
Je passai la semaine suivante à faucher toutes ces herbes hautes et ces fleurs. Tâche ingrate et idiote dans tous les sens du terme.
L’opération s’avéra fastidieuse. Jusqu’au jour où mon voisin m’expliqua que la lame de ma faux devait subir une sorte d’opération qui consistait à écraser un peu le fil de la lame pour le rendre plus fin. Comme j’avais fauché l’herbe devant sa porte, en échange, il aiguisa la lame de ma faux comme une lame de rasoir.
Le jardin, encore loin de
correspondre à notre idéal, possède cependant une beauté propre, une vibration.
Il rime avec les collisions environnantes de l’horizon, chante avec la forêt dont
la silhouette se découpe à quelques pas de là, accueillant d’innombrables
créatures comme un nid gigantesque, réserve parfois des surprises. Nous y avons
des prunes minuscules mais délicieuses. Certaines, inaccessibles, brillent tout
là-haut dans l’azur, comme une nourriture réservée aux anges. Chacun sa part.
Moi, je prendrai celles qui sont à portée de main.
Après mon retour, notre situation financière s’améliora nettement. Cependant,
comment aménager ce jardin qui, une fois de plus, s’était mis à pousser comme
un sauvage. Mon beau-père nous prêta son cultivateur.
Dans la voiture, ma femme lisait les instructions du cultivateur. Il faut
prendre soin de débarrasser le terrain des gros cailloux, des racines et des
branches. L’appareil doit toujours être accompagné de sa fidèle notice, et s’il
lui arrive de changer de mains, le nouveau propriétaire doit l’avoir parcourue
de long en large, apprise par cœur, et répandue comme la bonne nouvelle. Comme l’appareil
fonctionne à la fée électrique et que celle-ci déteste la pluie, il n’est pas
question de solliciter ses services et de l’importuner lorsque surviennent les
précipitations. Il faut prendre soin du câble qui ne doit pas être exposé aux
flammes, ni aux produits gras comme l’huile sainte. Cette notice lancinante
commençait à me tourner les esprits comme le chant d’un griot. Mes paupières se
fermaient. J’étais en train de fournir un effort considérable pour fixer mon
attention sur la route, lorsque tout à coup, mon fils déclara : « Ce motoculteur et moi on doit avoir des gènes en commun parce que moi non plus j’aime
pas le gras ! »
Alors que la voiture commençait à faire un léger encart, je donnai un coup de volant et me trouvai à nouveau éveillé, les yeux bien attachés au ruban de bitume. Qui sait si, ce jour-là, Gaspard ne nous a pas sauvé d’une sortie de route.
<Vert Naufrage 24 Vert Naufrage 26>
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