Vert Naufrage 17 - Le sourcier, l'eau et le puisatier

 Le sourcier

 

Aga a une intuition gigantesque. Dès qu’elle l’entendit au téléphone, elle prit le sourcier en grippe. Car peut devenir sourcier qui veut. Il suffit de lire quelques livres (sic). Moi, soit je suis trop naïf pour exercer ce métier, soit trop honnête pour faire profiter aux autres de mes dons. Ce qui n’était pas bien sûr le cas du sourcier, absolument convaincu de ses dons paranormaux. L’homme au nez d’aigle, grand et osseux s’était fait accompagner par son demi-frère, un peu bossu. Les deux hommes m’évoquaient un savant fou et son assistant. Il émanait de leurs personnes comme de l’obscurité. L’homme se déplaçait de long en large avec son pendule, et bien que silencieux, son attitude semblait invoquer quelque force mystérieuse. Il voulut nous dresser une carte des courants d’eau souterrains. Nous ne voulions pas de la carte : il suffisait qu’il me dise où creuser. 

 

Le puisatier

 

Une fois qu’on nous eut montré où creuser, je fis appel au puisatier. Le puisatier était un jeune gars, costaud et moustachu recommandé par le sourcier. Il possédait un matériel d’après-guerre hérité de son père dont il continuait la profession. C’était une sorte d’immense trépied métallique auquel il accrochait l’un après l’autre des tuyaux au fur et à mesure que le trou s’approfondissait. Un moteur remontait les tuyaux puis les laissait retomber de tout leur poids. Une méthode assez primitive, et qui ne permettait pas de franchir d’éventuelles grosses pierres si par malheur l’une venait à se trouver en travers du chemin. Nous nous mîmes d’accord sur un prix. S’il ne trouvait pas d’eau, il n’obtiendrait que 50 pourcents.

Il mit presque six mois à creuser jusqu’à vingt-neuf mètres, ne trouva que de la terre glaise et des cailloux, puis rentra chez lui en nous laissant tout son matériel. Au printemps, j’étais allé lui rendre visite, lui déclarant que je ne le paierai que s’il venait chercher tout son bazar, ce qu’il fit.

 

 

 

L’eau

 

Nous n’avions pas de problème de robinetterie. Pas de problème de filtre, ni de pompe. Nous n’avions pas non plus de facture d’eau à payer. D’après les statistiques, les problèmes de factures ne touchaient que cinq virgule sept milliards d’êtres humains. Les un virgule un milliard qui restaient, dont nous faisions partie, n’avait pas l’eau courante ...  et devaient courir la chercher quelque part. Ces statistiques me parurent erronées. Je ne pouvais pas croire que tant de gens aient l’eau courante. Un miracle. Un luxe.

 

            En fait, nous disposions d’un puits. Il n’était pas très profond. L’été il risquait seulement de s’assécher un peu.  D’autre part, vu la quantité effroyable de produits chimiques que les agriculteurs répandaient dans le champ situé au-dessus, je supposai que cette eau contenait une quantité respectable d’engrais et de pesticides. Cette eau fut donc destinée au jardin et aux toilettes. Je devais traverser la route avec mes seaux.
La vue d’un homme qui va chercher l’eau au puits n’est peut-être pas si familière même pour les Varmiens, mais je savais que tout le voisinage en faisait autant. Je crois même qu’ils la consommaient, peut-être après l’avoir fait bouillir. Je devais soulever un couvercle de bois, et laisser tomber un vieux seau troué attaché à une corde effilochée. Le bas du puits était encore en briques rouges, le haut du puits, constitué de deux cylindres en béton. En hiver, il fallait briser la couche de glace qui recouvrait l’eau. Puis, les pieds mouillés, je retournais à la maison, un seau dans chaque main, peinant.

            Nous disposions aussi d’une mare dont l’eau ne pouvait être utile que pour le jardin. Mais elle se desséchait encore plus vite que le puits. L’eau que nous utilisions pour la toilette et le thé provenait de la station-service, où je me fis un honneur de la payer. J’en ramenais à peine une centaine de litres par semaine, cinq à sept litres par jour et par personne, figurant ainsi parmi les populations les moins consommatrices d’eau du monde (dix à quarante litres d’eau par jour et par personne en Afrique). Je n’ai pas compté l’eau du puits, ni celle du vin, mais étant donné qu’elle finissait dans le jardin, ou dans le filtre à roseaux, la pollution fut minimale, l’eau retournant assez vite à sa source.

            Ah ! Nous étions riches, ambitieux, naïf. Nous voulions faire creuser un puits.

 

Le puits ! Le puits qu’il n’y avait pas !

 

 

<Vert Naufrage 15                                            Vert Naufrage 17>

 


Aucun commentaire: