Journal - 18 septembre 2025

Plusieurs visites aujourd’hui. Cela fait presque un mois que nous avons mis la maison en vente. Deux heures à peine après la publication des photos sur l’internet, des gens viennent se garer juste à côté, prétextant sans doute une promenade pour venir jeter un coup d’œil (sans toutefois oser venir frapper à la porte, mais je les soupçonne d’avoir voulu voir la maison de plus près). Il faut dire que les photos étaient particulièrement réussies. Chacun des clichés avait exigé pas mal d’efforts pour réparer, peindre, nettoyer, boucher, recadrer, retoucher, etc.

Nous avons des visites quasiment tous les jours. Honnêtement, je ne me souviens pas du visage de tous mes visiteurs. Certains, pourtant, nous ont marqués par leur personnalité et leur gentillesse. Un geek varsovien notamment, fasciné par le plafond de la cuisine, un plafond à l’enduit de chaux, resté dans son état originel, le seul qui n’ait pas été refait avec du placo, parce que cet enduit à base de chaux et de sable accroché sur des tiges de roseau, nous avons été bien incapable de le restaurer dans les autres pièces. J’ignore quelle technique était utilisée et j’aurais donné cher pour apprendre à le faire. Là où il était abîmé, il fallait tout refaire à neuf… avec du placo bien sûr, plus rapide et plus facile.

Ensuite, un traducteur, poète et érudit qui parlait français, nous avons gardé contact pour échanger nos textes. Une dame vétérinaire recherchant une villégiature pour les vacances avec ses enfants. En revanche, un joueur de golf venu d’Ecosse, mais qui aurait volontiers assassiné tous nos orvets et rasé tous nos arbres (Aga n’aurait pas voulu lui confier ce coin de paradis, et moi non plus).

La maison est prête, comme au garde-à-vous, le ménage est fait quasiment en continu, les vitres de la douche et le miroir astiqués tous les matins. Les mouches ont interdiction de faire des crottes sur les fenêtres. En cas de tentative, nous attrapons immédiatement l’indésirable à l’aide d’un pot en verre et d’un papier, toute une technique, il faut bouger très lentement parce que les mouches perçoivent assez mal les mouvements lents, pour lui rendre la liberté (où plutôt pour qu’elle aille faire ses crottes dehors). Chaque recoin est aspiré chaque jour de visite. La serpillère passée. Les objets personnels (tableaux et dessins) dissimulés ou retournés contre le mur.

Aga et moi, nous faisons alors les cent pas, dans cette grande maison lumineuse, le parquet craque sous nos pas, deux figures un peu rigides… deux gardiens de musée.

Nous avons eu une discussion intéressante avec des habitants de Gdansk et leurs deux chiens. Ils nous ont demandé, comme à chaque fois, pourquoi nous voulions vendre. La plupart sont étonnés, parce qu’en général, ils recherchent une maison isolée, aussi loin que possible des miasmes de la civilisation, des fumées de cheminées, loin de voisins éventuels et de la ville. Nous au contraire, nous voudrions renouer avec la civilisation, nous rapprocher du tumulte des villes, de la vie culturelle, prendre des bains de foule, parce que dix-sept ans de thébaïsme, ça suffit !

Notre deuxième argument, c’est l’esprit nomade. Or, ma théorie, c’est que l’humanité a cessé d’être nomade il y a à peine quelques siècles, ce qui fait relativement peu de temps à l’échelle de l’espèce humaine. On éprouve donc de la nostalgie pour ces lointaines pérégrinations, sinon, pourquoi les gens aimeraient voyager ? Nos visiteurs de Gdansk nous comprennent. Ils aiment déménager souvent et n’ont pas du tout l’intention de « s’enterrer » pour le restant de leurs jours dans ce seul lieu. (Je trouve qu’il y a quelque chose d’effrayant à l’idée de se choisir un lieu pour s’y enterrer, voire pour y mourir). Puis nous nous mettons à compter les années sur nos doigts. Je compte celles où j’ai vécu dans la maison des Coudrais (la maison de mon enfance), et je tombe sur le chiffre treize. J’aurai donc vécu à Różynka quatre ans de plus ! Compter de cette manière me donne le vertige. Quelques dizaines d’années par-ci, quelques dizaines par-là, et vous voilà avec des cheveux blancs.

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