Ce soir, comme
j’aimerais bien recommencer à peindre et à dessiner, me voilà à la recherche de
mes pinceaux et de mes tubes de couleurs. Je ne sais pas si cette idée est
bonne parce qu’à cette saison, il fait si sombre que toutes les couleurs sont
plates et jaunâtres. En plus, impossible de retrouver les gros tubes d’acrylique
blanc et noire. Il y avait même un tube de doré, parce que je m’imaginais
peindre des icônes. La frustration grandit, et dans toute la maison, tiroirs et
cartons sont ouverts, regorgeant évidemment de tous les trésors du monde à l’exception
de mes chers tubes de peinture. Je retrouve de vieux écrits, des tentatives de
fiction, de vieux poèmes, des morceaux de nouvelles, sans queue ni têt
e, éparpillés
dans différents cahiers. Je reconnais bien mon écriture, mais j’ai cette
sensation bizarre que cela a été écrit par quelqu’un d’autre.
Et puis, de l’étagère d’un meuble, c’est une avalanche de papiers et de photos qui me tombent sur la tête.
Je reconnais bien mes traits, parce que ces photos, je les ai vues si souvent. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que ce moi est un autre.
Une photo prise rue du 11 novembre à Caen. Aga et moi sommes en train de manger. Aga boit un jus de fruit à la bouteille. Je m’invitais souvent dans cet appartement qu’elle occupait en collocation. C’était pour moi une époque de changements. La dernière fois que je m’étais inscrit comme étudiant à l’université, dans la file d’attente au guichet, je m’étais retrouvé entouré d’étudiants tellement plus jeunes que moi, et moi, éternel étudiant, j’avais eu un peu honte, je m’étais senti si mal à l’aise que j’avais juré de ne plus jamais m’inscrire. Sur la photo, je porte encore ce pull bleu en laine que ma mère m’avait tricoté. Un soir d’été à une terrasse de café, par galanterie, je l’avais prêté à l’amie d’un ami qui grelottait à cause de la fraîcheur. Elle ne me l’avait jamais rendu, prétextant l’avoir prêté à l’amie d’une amie qui ne le lui avait pas rendu. J’aurais presque aimé cette version où le chandail tricoté par maman aurait circulé à travers la ville, servant aux uns et aux autres, mais il me semble plus probable que le pull ait été lavé en machine, le rétrécissant à jamais. De mes amis de l’époque, j’avais de plus en plus de mal à accepter certains comportements. Alors je pris mes distances. Je n’avais plus besoin d’être gentil avec tout le monde. J’avais renoncé à la loyauté qui prévaut d’ordinaire entre vieux amis. Aujourd’hui, un peu mal à l’aise, toutefois. Reconnaissant qu’ils m’aient offert leur amitié pendant toutes ces années. Amen !
Une autre photo, prise bien plus tard, à Varsovie au pied d’un sapin. Gasper a environ cinq ou six ans. Il a reçu un petit train électrique pour son Noël. Je l’aide à assembler des rails qui sont entièrement en plastique. Le jouet avait été sans doute fabriqué en Chine : la locomotive, trop légère, ne tenait pas très bien debout. Je crois que j’étais encore plus déçu que Gasper. À cette époque, j’aimais jouer avec lui à toutes sortes de jeux. C’était notre manière de grandir ensemble, lui en tant qu’enfant, moi en tant qu’adulte. Pourtant, ce jeune père sur la photo est tellement différent de ce que je suis que j’en ai le tournis. Et pourtant toujours le même. Certains diraient : « Tu n’as pas changé ! »
Au fond d’une boîte en carton, un vieux galet, rond, poli par l’océan. Il a certainement connu toutes les vagues qui lui ont ôté ses aspérités. J’aimerais être comme lui, tellement lisse qu’il porte le Ciel.
