Journal - Mardi 2 septembre 2025

 Nous avons ouvert une bouteille de vin rouge hier. Nous buvons de moins en moins d’alcool. La mode est à la bière zéro pourcent, mais c’est généralement comme de la limonade. Gaspard nous a dit qu’il buvait parfois du vin avec M. de préférence à l’occasion d’un pique-nique dans un parc, exactement la même marque de vin que la bouteille que je venais d’ouvrir (un vin de qualité moyenne mais dont le goût ne laisse pas de mauvaises surprises). Je lui ai alors raconté qu’étudiant j’étais parti en vacances par monts et par vaux avec Christian, un ami d’alors. En Auvergne, nous nous étions arrêtés dans un village et avions pique-niqué sur un muret juste en face de l’église. Des gens sortaient de l’église et nous souhaitaient bon appétit. A cette époque, je trouvais ça assez cool de pique-niquer dans les lieux publics avec une nappe et une bouteille de vin, du bon vin de préférence. Il y avait comme un petit défi puisque, théoriquement, consommer de l’alcool sur la voie publique est interdit. C’est également le cas en Pologne où la police verbalise les groupes de gens qui boivent de la bière dans les parcs. Quand je suis arrivé en Pologne à la fin des années 90, on apercevait souvent des groupes d’hommes fumant et consommant de la bière ou de la vodka à l’ombre d’un acacia ou au pied d’un commerce autorisé. Cela faisait un peu misérable, mais en Pologne, il n’y avait pas tellement de bars où se cacher à l’époque. Ou alors ces établissements étaient exclusifs et pas toujours bon marché. Les choses ont changé depuis, et s’il n’y a toujours pas la même culture PMU qu’en France, les Polonais ne boivent plus tellement sur la voie publique.

J’ai demandé à Gaspard dans quel parc ils s’ouvraient ainsi de bonnes bouteilles. Cela se passe souvent à Pole Mokotowskie, un parc juste en dessous de sa chambre universitaire qui servait de terrain d’aviation entre les deux guerres. Dans les années trente, on y faisait décoller des Zeppelin. A présent, les champs sont couverts d’arbres centenaires, parsemés de fontaines et de plans d’eau où nagent même des poissons. Les varsoviens viennent y promener leur chien et leurs enfants. Il y a une sorte d’auberge où l’on sert du boudin noir et des galettes de pomme de terre. Pour moi, cet endroit est proche d’être idyllique. Il semble assez bien fréquenté et vous pouvez vous y promener la nuit sans craindre de vous faire attaquer, (du moins statistiquement). Des petits groupes d’étudiants s’y rassemblent pour pique-niquer, bronzer, lire, discuter. Parfois ces groupes qui ne se connaissent pas se mêlent spontanément, se côtoient pour y faire des rencontres. La police municipale de Varsovie y fait rarement ses rondes et ne verbalise personne. Peut-être cela tient-il à cet aspect civilisé, à ce savoir-vivre cher à beaucoup de Varsoviens. Il y a cette idée de « Déjeuner sur l’herbe », de tolérance et de convivialité à l’image de cette bohème parisienne, de ce moulin de la galette, bref d’une époque qui semble révolue, mais qui réapparaît çà et là au gré des courants sociétaux et des histoires locales.  

Je me suis aussi souvenu d’un séjour à Londres, d’une représentation de Macbeth dans un théâtre en plein air. Les Londoniens venaient assister à la représentation, équipés de bouteilles et de verres à pied. Ou d’un concert de musique classique au Royal Albert Hall (après toutes ces années, j’ai oublié le compositeur), accompagné de Anne et Françoise. La galerie la plus haute, qui est aussi la moins avantageuse en matière d’acoustique, était libre d’accès pour qui n’avait pas les moyens de payer. C’était une galerie circulaire, et là aussi, les auditeurs venaient équipés de nappes et de paniers. Comme il n’y a pas de siège, chacun s’allongeait pour écouter ou s’appuyait au garde-fou.


Ce printemps, avec Gaspard, nous avions longé la Vistule. Ses rives étaient alors peuplées de baigneurs, d’amateurs de barbecue, de joggeurs, de cyclistes. Parmi les bosquets, on y parlait polonais, ukrainien, tamoul, italien ou français, et tous ces petits groupes profitaient du soleil parfois en maillot de bain, faisant la sieste ou chantant des chansons de leur pays. Cette ambiance bon enfant se prolonge tout l’été. Je n’ai jamais entendu parler d’incidents, même si cela doit bien arriver.

Cet hiver, les bords du fleuve retrouveront leur solitude gelée. Les uns et les autres continueront à faire la fête dans les discothèques et les clubs.

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